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Bric-à-brac
Très 1900
De la brocante, tu rapportes
Un bel objet,
Le fais tourner, retourner dans ta main
Et je te dis :
« Le style, c'est
Très 1900 ».
Inanimé
Le vase asiatique en faïence olive,
Une carpe
Jaillissant de l'eau
– L'objet montre même,
Dégoulinant de la nageoire dorsale
Vers la queue courbe, les vaguelettes –
Essaye de gober une affiche
Et bondit sans fin sur la commode,
Gueule bée.
Intériorités
Broki, brocante, dans la mémoire
Gît la vitrine du magasin
Sise dans cette bâtisse magnifique
À l'angle de la ruelle aux deux lauriers roses
Et dans l'antre
Où mène un escalier
Une présence reluisante, brune, sombre, mystérieuse :
Merisier, chêne,
Les chambranles chantournés,
Motifs en plis de serviette sur les portes,
Superbes serrures,
Tiroirs ayant renfermé tous les secrets d'antan,
Des armoires et des armoires rustiques,
Soupirantes,
Avec tout leur être-là,
Grincements, odeurs de cire,
À saluer à l'infini.
Bonimenteur
Gouaille, le type à la réderie,
Ses compliments pleuvent tels des carreaux d'arbalète :
« Allez, M'sieurs-Dames, métal argenté par ici !
Théière superbe,
Le bec aussi long que votre nez.
Allez, allez, tout le lot on prend.
Mais oui, mon bon monsieur,
Ce portrait de barbu rougeaud vous ressemble.
Non, Madame, cette tasse n'a plus d'anse,
Si cela vous disconvient,
Prêtez-lui donc vos grandes oreilles.
Hop, ma belle, la soucoupe ? T'as raison !
Ce coffret ? Un pied il manque ?
Saperlipopette ! Si je commence à faire des discriminations !
Allez, allez, point de simagrées,
Un lot par ici,
Toutes les occasions dont vous rêvez
Chez Bibi !
Hé, quelle est votre marotte ?
Votre addiction ? Votre dada ?
Depuis trente ans je contente
Tous ceux qui passent par mon étal :
Les arctophiles, les fibulanomisyophiles,
Les placomusophiles, les buirophiles,
Les molabophiles, les cappaspingulophiles,
Les buxidanicophiles, les digiconsuériphiles,
Les molubdotemophiles, les chartasignipaginophiles.
Votre toquade du moment avouez-moi.
Un encrier ?
Alors vous voici atramantophile. Ouais, mon gars,
Des étiquettes, j'en ai aussi pour les bonshommes.
Tiens ! V'la les témoins de Jéhovah.
Qu’es aquò ?
Ah, mes braves, vous êtes gentils,
Mais sans façon, je suis athée comme le service.
Vous prendrez, oui, une tasse ?
Elle est un peu fêlée comme moi
Ou bien des timbres, je suis aussi timbré.
Hep, ne le redites pas :
Seuls ceux d'avant-guerre quelque chose valent.
Doigt sur la bouche, hein, juste entre nous, c'est un secret.
Seriez-vous numismates ?
Là, un beau faux de monnaie romaine,
Contrefaçon répertoriée,
Oh certes pas très fine je vous l'accorde,
On voit les stries.
Quoi, Monsieur ? Ce pot en fer ?
Gros comment ?
Gros comme votre bidon.
Prenez ce chapeau ! Là, vous voici toqué !
Mais non, ce couteau n'est pas bossu :
C'est une illusion d'optique !
Chouchou, tu es gentil de ne pas me casser le cristal !
D'emporter ce seau à glace, vous avez tout loisir
Si vous êtes givré, voui,
Messieurs, Mesdames,
C'est la braderie
Chez mézigue,
La foire-fouille, comme il vous plaît !
Regardez ce plat
Pour mettre des fruits dedans :
Et hop ! A l'envers,
Vous pouvez même sur la tête le mettre
Quand vous en avez franchement trop ras-le-bol de la vie ».
Grinçant
Mélangeant sans doute candélabre et chandelier,
Le chineur s'éprend d'un magnifique « chalandrier », dit-il.
Des journaux les petits-annonceurs
Ne sont pas en reste qui
Leurs sévices à café revendent,
Leur faïence d'Elf,
Tous les objets possibles et inimaginables.
Plus sérieuse, une dame refuse
De filer même rouillé d'occase son mari ;
Dans un laïus peu commun, grinçant, elle proclame
Sur la page messages persos d'un magazine :
Madame ceci,
Le Monsieur rencontré le …
Dans la carlingue volant pour là
Est mon époux et j'y tiens. Merci.
Une dans tes bras
Sur le boulevard devant l'école
Tu reviens :
Des gens vers la barrière s'arrêtent,
Te laissent passer, toi qui transportes
Celle dont quelqu'un clame qu'elle est vraiment belle,
Cette femme – tu la tiens serrée dans tes bras.
Attroupement pour cette,
Magnifique il est vrai,
Devant le petit bureau de poste,
Adorable personne avec son déhanché.
Je l'aperçois tout contre ton torse
Offrant ses seins d'un voile à peine recouverts
Aux passants.
Logique s'ils t'arrêtent encore
Pour jouir des minauderies de celle,
Front laiteux,
Mains de givre,
Que contre ta chemise tu serres :
Yeux flocons,
Teint de lys,
Cariatide en plâtre toute blême,
Parfait galbe,
Bras en stuc,
Qu'elle est belle,
Sa peau crème,
Celle qui avec toi se balade
– Mais moi je suis la femme vivante quand même.
Sinusoïde
Carte postale ancienne,
L'homme qui sur cette façade Art Nouveau s'encadre,
De l'index sur la sonnette
– Immeuble parisien –
Sa silhouette penchée étayant
L'entablement tout en herbes ondulées
Et pétales :
L'instant d'après sa main aura chu,
L'instant d'après il n'aura plus, roseau fléchi, ce déhanché qui parfait le paysage aux lignes irrégulières,
L'instant d'après, bras au corps, il sera dans le hall.
Cet extraordinaire de la photo :
Elle duplique le monde ?
Non, elle le fixe.
Dulie
J'aime ces gens stèles, statues, divinités forestières,
Dressés comme des rocs et ligneux tels des chênes,
Ne s'agitant point en mille courbettes
Ils contemplent la vie,
Perplexes,
Vaquant à leur besogne
Ou à leurs joies secrètes
Et ne causant point trop,
Ininfluençables, résolument hors-monde,
Honnêtes.
Bond
Vide-grenier
De campagne,
La départementale sur les prés donne
Comme une pouliche une envie : se rouler dedans,
Surtout celui plus pentu aux herbes hautes,
Graminées.
Puis, sous le bout d'abri en saillie s'étendre,
Pierres sèches, lauzes,
Les nuages se coursant dans les pupilles,
Une herbe cueillie au coin des lèvres,
La caf'tière sur un oreiller lumineux en mica,
Les deux guibolles contre ce frais, la terre à l'ombre.
Bondissent de partout des élatérides,
Une pluie d'insectes,
Ceux qui cette aptitude ont, spéciale : cambrer leur corps pour, coup sec,
Se lancer au loin.
Peut-être est-ce simplement ça le bonheur :
D'une herbe sur l'autre, se projeter dans les airs, tout le corps déplié ?